Séquences clés en main : limites du prêt-à-enseigner

Que vous utilisiez un manuel scolaire, des séquences approuvées par l’inspection, des séquences trouvées sur des sites ou blog ou même l’intelligence artificielle, je me disais qu’une petite notice d’utilisation supplémentaire pourrait être bénéfique !

Au-delà de cette intention première, cela me permet également de faire un petit exercice de style que j’aime beaucoup et qui me permet de croiser des petits bouts de savoirs que j’ai accumulés ici et là (je suis loin de tout maîtriser ou de tout connaître).

Vous ne m’entendrez jamais dire qu’utiliser des manuels ou des ressources clé en main, c’est le mal. Ce serait d’ailleurs bien hypocrite de ma part de le dire car j’utilise moi-même ici et là des ressources proposées par des super collègues ou par des manuels scolaires. Ici, le but n’est pas de questionner ces usages mais plutôt d’observer pourquoi et comment on le fait.

Notre métier doit répondre à un multi-agenda, un “ensemble de préoccupations enchâssées et orientées vers ce que l’enseignant doit faire”

Utiliser des ressources créées par d’autres, qu’est-ce que cela dit de nous ? Tout simplement que notre métier doit répondre à un multi-agenda¹, un “ensemble de préoccupations enchâssées et orientées vers ce que l’enseignant doit faire”. Les premières années, c’est tout un écosystème qu’il faut découvrir, apprivoiser, maîtriser et la pression se fait parfois grande car on se rend vite compte qu’on ne pourra pas tout bien faire (Divulgâchage : vous n’y arriverez jamais et il faut vite se mettre en paix avec cela). Observer le savoir et réfléchir à comment on peut le traiter, penser le tissage, gérer l’atmosphère et l’étayage, toutes ces compétences sont complexes et nécessitent a minima deux choses : du temps et un recul réflexif. Une bataille entre les gains et les pertes rentre alors en jeu : (dialogue interne) “j’aurai le temps de faire ça mais si je fais cela, alors je vais mettre ça de côté. Ça, je pourrais le faire mais peut-être moins bien que si je faisais cela pour le moment.”.

C’est dans cette temporalité complexe à manipuler que les manuels ou séquences créés par d’autres arrivent comme une lumière (“AHHHHHH” vous entendez la musique ?) : 

Créé par ChatGPT

Ces ressources viennent réellement soulager le multi-agenda. Comme évoqué par Roland Goigoux, il y a toujours une bonne raison qui pousse un·e enseignant·e à effectuer telle ou telle action, dans notre cas reprendre des séquences ou séances pédagogiques toutes faites. Ce qui semble pertinent, c’est de questionner cette intention de temps en temps et de réfléchir aux gains et aux pertes². J’ai évoqué le multi-agenda mais il existe bien entendu d’autres bonnes raisons (enfants à s’occuper, charges du quotidien, le besoin de souffler et de prendre du plaisir en dehors du travail,…).

Si elles peuvent être un atout, ces ressources doivent tout de même être manipulées d’une certaine manière afin d’être bien utilisées.

À garder en tête : on ne peut pas vous reprocher de réutiliser des séquences de manuels scolaires ou des séquences trouvées sur Internet mais on peut vous reprocher de ne pas questionner les ressources sélectionnées. Quand je retombe sur certaines de mes séquences sur ce blog, je hoche de la tête et j’en suis presque à désactiver les articles. Une des raisons qui m’en empêche, c’est que certaines séquences recèlent de ressources précieuses et il est possible que je revienne travailler ces séquences maintenant imparfaites à mes yeux comme je l’ai fait récemment avec ma séquence Great Brits (elle arrive bientôt). 

Une illusion de simplicité

Les séquences que vous réutiliserez ont un avantage certain, elles vont vous soulager à de nombreux moments où vous serez peut-être plus sollicités que d’autres. Cela étant dit, une séquence prête-à-emploi a été créée avec des objectifs spécifiques, un contexte précis (élèves, établissement,…) et, surtout, elle est intimement liée à son auteur·ice. Une séquence, c’est aussi une manière de penser l’enseignement et il peut être parfois plus difficile de s’approprier la séquence d’un ou d’une autre que de tout créer soi-même. Une séquence est une vision de l’enseignement.

De plus, il est difficile de jauger le delta entre le déroulé du cours et les gestes quotidiens de l’enseignant·e en classe. Pour cela, il faudrait assister à tous ses cours. Le plus difficile réside dans le fait d’avoir suffisamment de recul réflexif et d’exercer son esprit critique pour questionner la séquence que vous souhaitez réutiliser. Ce que vous pensiez vous faire gagner du temps pourrait être en fait une illusion de simplicité.

Vous me direz : “Oui mais Charlie, moi, je souhaite juste gagner du temps et survivre dans la jungle de tout ce qu’il y a à faire”. J’entends et je comprends totalement MAIS il semble tout de même essentiel de questionner les ressources d’une part au regard de vos objectifs à vous et d’autre part au regard de votre manière de faire. Le but est in fine de vous approprier les documents et ressources pour que cela soit en adéquation avec vous et votre façon d’enseigner, on pourrait presque parler ici d’une recherche d’adéquation avec votre style professionnel ou votre personnalité professionnelle

Le pouvoir de l'agentivité : à vos outils !

L’agentivité, de l’anglais agency, désigne le fait de rester maître de son navire : de sa classe et de sa pédagogie. Quand on reprend une séquence, on prend les chaussons de quelqu’un. Mais finalement, vous vous rendez compte que ces chaussons qui paraissaient confortables ne sont pas à la bonne taille ou bien vous vous rendez compte qu’ils vous grattent un peu et que ce qui vous paraissait agréable au départ ne l’est peut-être plus tant que ça. Il va donc falloir reprendre ces chaussons pour que vous y soyez bien aussi. (Ne me demandez pas pourquoi je suis parti sur cette métaphore)

Finalement, vous vous rendez compte que ces chaussons qui paraissaient confortables ne sont pas à la bonne taille ou bien vous vous rendez compte qu’ils vous grattent un peu…

Comprendre la structure d'une séquence

Une séquence, c’est tout un processus de création, un exercice de pensée qu’il est important de maîtriser, car, sans votre expertise professionnelle, vous ne saurez pas questionner la qualité des éléments que vous avez devant vous. Comme je le disais, je reste humble sur ce sujet car je sais que certaines séances et peut-être séquences sont questionnables sur ce site. Mon but avec le blog n’a jamais et ne sera jamais de proposer des exemples modélisant mais bien des idées et ressources à piocher.

Si je devais donner des conseils sur ce que j’ai récolté à droite et à gauche, c’est : 

  1. Partez d’une thématique culturelle qui vous plait et qui rentre dans les axes du programme. Trouvez si possible une problématique. J’entends souvent des critiques sur la problématique, pourtant, je trouve qu’une fois trouvée, elle permet réellement de mieux cibler et choisir les ressources que vous garderez à la fin.
  2. Réfléchissez aux objectifs que vous souhaitez atteindre avec cette séquence en gardant en tête les repères de progression et les niveaux du CECRL.
  3. Pensez le projet final et créez un exemple modélisant pour mieux anticiper les outils dont les élèves auront besoin pour la réalisation de la tâche.
  4. Créez les séances qui ont pour objectifs d’apporter, brique par brique, des éléments pour que les élèves réussissent le projet final. 

L'alignement pédagogique

J’ai entendu parler de l’alignement pédagogique il y a quelques mois déjà mais je l’ai redécouvert grâce à un super podcast que je vous conseille ! Si vous gardez ce que j’ai dit plus haut, c’est à dire : objectifs d’apprentissage → évaluation(s) finale(s) → activités d’apprentissage et que vous alliez cela à la taxonomie de Bloom (révisée par Anderson et Krathwohl, 2001), alors vous serez en capacité de mieux questionner une séquence devant vos yeux.

Imaginez que votre objectif est de faire une tarte poire-chocolat (objectif pratique) et que l’on vous donne simplement une recette de cuisine (activité théorique) et que l’évaluation est la bonne réalisation de la tarte poire-chocolat (évaluation pratique). Votre objectif ne sera jamais atteint car ce n’est pas en vous donnant simplement la recette de cette délicieuse tarte (théorique) que vous réussirez effectivement à la réussir lors de l’évaluation (évaluation pratique). Pour que vous la réussissiez, il faudrait développer certains gestes techniques :  aborder les ustensiles et leur bon usage, utiliser les bons ingrédients,… L’alignement est donc rompu et ne permet pas de créer une situation fertile à la réussite des élèves.

https://enseigner.hec.ca/pedagogie/alignement-pedagogique/

Zoom sur la Taxonomie de Bloom

La Taxonomie de Bloom est un outil précieux pour créer une progression d’apprentissage amenant au développement des processus cognitifs en respectant le rythme d’apprentissage des élèves. Cela permet donc de se doter d’objectifs clairs pour une séance ou bien même une séquence.

Cette taxonomie nous assure en grande partie de respecter l’alignement pédagogique. Comment ? La classification des tâches cognitives permet de concevoir une séquence en respectant nos objectifs. Ainsi, en ciblant un niveau, on va pouvoir concevoir une activité qui vise ce niveau précis.

Imaginons que notre projet final est la création d’un nouveau membre de la famille Addams : 

Niveau 1 : Mémoriser

Apprendre le vocabulaire des descriptions physiques et des traits de caractère (flashcards, activités d’appairage)

Mots-clés de la taxonomie : Lister, nommer, mémoriser, répéter

Niveau 2 : Comprendre

Comprendre des descriptions orales/écrites de personnages existants (écouter une CO, reformuler)

Mots-clés de la taxonomie : Classer, résumer, représenter

Niveau 3 : Appliquer

Décrire un personnage de la famille Addams avec le vocabulaire appris. (rédiger une courte description à partir d’un modèle donné).

Mots-clés de la taxonomie : Formuler, produire, mettre en pratique

Niveau 4 : Analyser

Repérer et expliquer un fait de langue (les déterminants possessifs)

Mots-clés de la taxonomie : Déduire, examiner, mettre en relation

Niveau 5 : Évaluer

Contraster les propos (but, however) / Noter sa production personnelle d’entraînement afin de mieux comprendre les attendus ou évaluer un autre.

Mots-clés de la taxonomie : Défendre, contraster, évaluer, juger

Niveau 6 : Créer

Inventer un personnage original et le décrire oralement ou par écrit à la troisième personne du singulier au présent simple.

Mots-clés de la taxonomie : agencer, concevoir, écrire, intégrer, organiser, produire, rédiger, structurer

Afin de vous aider à mieux prendre en main cette Taxonomie, je vous conseille d’en imprimer une qui vous plait et, surtout, d’observer les verbes d’action. Cela peut paraître anodin mais en prenant soin de partir de ces verbes, vous saurez davantage quel niveau vous ciblez réellement et donc de réajuster au besoin :

Source : https://www.bienenseigner.com/taxonomie-de-bloom/

Conclusion

Pour s’approprier une séquence pédagogique, il est donc important d’avoir plusieurs éléments dans son sac car on comprend bien qu’il ne peut pas s’agir de suivre un plan pré-écrit :

  1. Une compréhension de la logique interne d’une séquence, sa finalité et son impact sur les apprentissages des élèves.
  2. Une séquence repose sur un alignement clair entre objectifs, activités proposées et modalités d’évaluation. 
  3. Pour s’aider, on peut travailler avec la Taxonomie de Bloom qui sert de cadre d’analyse des niveaux cognitifs mobilisés.

Permettez-moi une ouverture sur l’intelligence artificielle car cela va de pair avec les propos évoqués plus haut. De plus en plus de jeunes professeur·e·s, mais pas que, utilisent les outils d’intelligence artificielle pour créer des séquences. N’oubliez pas que ce qui prime, c’est vous et votre expertise. L’IA peut générer des idées, structurer des pistes, ou même rédiger des fiches. Mais elle ne remplace ni la pensée critique, ni l’expérience professionnelle, ni la connaissance intime des besoins de sa classe. Gardez votre agentivité ! Aussi, plus votre connaissance de modèle théorique est élevée, plus vous saurez guider l’IA intelligemment car les intelligences artificielles peuvent être plus pertinentes lorsque l’on donne un modèle à suivre (Taxonomie de Bloom révisée, modèle FALC, …).

Quand vous en avez le temps, concevez vos propres séquences, trouvez des thématiques qui vous stimulent, créez à plusieurs (le pouvoir du collectif et du travail en groupe !), essayez de construire avec le bagage professionnel que vous avez et partagez avec vos amis-collègues afin de réfléchir au comment tout cela peut être amélioré. Enfin, allez voir vos autres collègues même après la première année de stage, on grandit énormément en allant voir les gestes professionnels des autres.

La créativité n’est pas forcément innée mais elle se stimule : “On apprend toujours seul mais jamais sans les autres” (P. Carré). 

Références théoriques

¹Dominique Bucheton et Yves Soulé« Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées »Éducation et didactique [En ligne], 3-3 | Octobre 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 28 mai 2025URL : http://journals.openedition.org/educationdidactique/543 ; DOI : https://doi.org/10.4000/educationdidactique.543

²Goigoux, R. et Serres, G. (2015). Analyse du travail pour la formation et en formation de formateurs d’enseignants. Dans V. Lussi Borer, M. Durand et F. Yvon Analyse du travail et formation dans les métiers de l’éducation (p. 115-136). De Boeck Supérieur. https://doi-org.faraway.parisnanterre.fr/10.3917/dbu.lussi.2015.01.0115.

L’IA a aidé à organiser certains passages et m’a aidé à approfondir certains sujets. Elle m’a aussi donné des idées afin de donner des exemples pertinents à partir d’idées que j’ai données.